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THE AUTHOR
An artist [ poetry, plays, short stories, painting and sculpture]. [June 2014]
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L'Homme Cloué Gérard Ducasse
L'homme cloué
Là, où la rue de la Reine rencontre le fleuve Saskatchewan Sud, pousse un ormeau magnifique. Je passe devant cet arbre chaque matin en allant à mon bureau, et de temps en temps, quand je ne suis pas pressé je m'y arrête quelques instants pour admirer sa forme superbe et sans doute presque centenaire.
Ce matin, on avait cloué un homme à son tronc. Il était là, debout, les bras levés audessus de sa tête, les mains l'une sur l'autre clouées à l'arbre. Un seul clou l'y maintenait, un de ces gros clous à facettes dont on se sert pour assujétir les rails sur les madriers. Un filet de sang coulait le long de ses bras et tachait les manches de sa chemise en cercles concentriques roses allant du plus foncé au plus pâle à mesure que le cercle s'élargissait.
Je me suis arrêté, pétrifié, devant lui. Étonnamment, j'étais le seul que la scène semblait intéresser. D'autres gens passaient: une petite femme toute potelée, poussant une voiturette pour jumeaux, avec deux bébés roses là-dedans. Un gros homme, accompagné d'une femme, vint dans le sens opposé. Lui, portait un maillot blanc à barres horizontales bleues, qui moulait son torse musclé. Ses bras nus laissaient voir de nombreux tatouages, des dragons verts, des coeurs transperçés et une femme nue. Sa compagne, dont les chairs abondantes échappaient l'emprise de ses vêtements, était aussi tatouée, mais de façon moins voyante...Elle avait de jolis petits liserons rouges aux bras et un papillon rose à la naissance du sein gauche. D'autres gens, aussi pittoresques passaient de même, sans voir l'homme cloué. Celui-çi, cependant les regardait passer avec intérêt.
Je lui demandais comment il se trouvait là. Il me répondit que ses ennemis l'y avaient cloué.
,<<Souffrait-il?>>
<<Oui.>>
Comment le déclouer sans lui meurtrir la chair?
J'étais décontenancé, et puis j'étais en retard pour mon travail.
Comprenant mon dilemne, l'homme m'a dit de ne pas me faire du souci. D'ailleurs, il attendait quelqu'un pour le déclouer. Son ami ne devrait pas tarder.
Un policier est venu nous rejoindre. Il a fait le tour de l'homme et donc de l'arbre. Il a demandé à l'homme s'il s'était cloué là.
<<De toute évidence, non!>>
Il a sorti son calepin et il a pris des notes, et puis il est parti en recommendant à l'homme de ne pas quitter l'endroit. Et puis, moi aussi, je suis parti. Comme je vous disais, j'étais déjà en retard pour mon travail.
Je n'ai pas pu m'empêcher de me retourner, quand même, après quelques pas. Il avait la tête penchée. Une larme coulait le long de sa joue droite.
L'homme qui doutait.
Dès sa plus tendre enfance, il doutait de la vérité de son propre corps. Ses organes internes, étaient-ils véritablement comme ceux des autres ? Sa peau, que gerçait l'eczéma n'était-elle rien de plus qu'une enveloppe dérisoire, qu'une chrysalide mensongère d’où il sortirait un jour, tel un papillon aux couleurs brillantes? Ses parents, étaient-ils vraiment les siens? Non! un jour, sa véritable famille, seigneurs égarés viendraient le réclamer de son état misérable.
Il grandit, doutant de tout: des formules d'algèbre, des phrases creuses du catéchisme, de la réalité des atomes. Le latin, le grec, étaient-ils vraiment des langues qui avaient nourri des cultures mortes? Les mystères religieux, valaient-ils mieux que leurs noms?
Il marcha dans la vie, comme dans un décor qui pouvait chanceler et s'écrouler à tout instant. Vers sa trentième année il se fit un ami. C'était la seule chose vraie dans un tableau trompeur. Il se sentit délivré quand cette amitié se révéla fausse. Elle avait failli ébranler la charpente de son doute.
Pourtant, il n'était pas malheureux. Il marchait parmi la foule des hommes avec une démarche sereine. Il voyait les gens comme à travers un verre transparent. Quelquefois, il avait pitié d'eux. Sans qu'il fréquentât jamais les bordels, il admirait l'honnêteté des putains qui donnent ce qu'elles promettent. Il admirait leur démarche lente, inexorable, comme celle des Parques. Il joua ainsi son rôle d'être humain sans que jamais rien ne changeât. Il aimait la musique de l'eau qui coule, les couleurs de l'automne et les soleils couchants, toutes , des choses qui passent.
À la fin de sa vie, quand la lumière s'assombrissait autour de ses paupières, il se demanda << Ai-je vraiment vécu?>>
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